Kirgistan 2019

Le docteur Beat Hammer, spécialiste en chirurgie orale et maxillo-faciale, se rend pour la première fois au Kirghizistan et rejoint notre équipe.

Les yeux de Danijar s’illuminent alors qu’il écoute le briefing de l’intervention en vue de la division sagittale de la mâchoire inférieure qui est prévue. Je vois comment les images de la chirurgie se forment dans sa tête tandis que le professeur Beat Hammer explique point par point l’opération à venir. Sur un modèle de mâchoire, Beat matérialise la division et explique où l’intervention devient délicate. Danijar est plein d’entrain et impatient à l’idée de se tenir aux côtés du professeur suisse dans le bloc opératoire. Aujourd’hui, la hiérarchie autour de la table d’opération se décline comme suit: en face de Beat se trouve le professeur Osh I. Bien qu’intéressé par l’intervention, il reste à distance du chirurgien et se contente de manier l’aspirateur de mucosités. Danijar, le second assistant, monte de temps à autre sur la base métallique du lit opératoire pour assister Beat.

La salle accueille également dix autres personnes: Osh II, l’infirmière en chirurgie, un chirurgien de l’hôpital de Jalalabad (Afghanistan), dont la patiente se trouve sous le champ opératoire, l’assistant en anesthésie, ainsi que Nursultan et Asamat. Je dois ensuite intervenir pour vérifier la position finale de l’occlusion avant de revisser la mâchoire inférieure qui était séparée. Yvonne est également présente avec son appareil photo, et une deuxième assistante en rose prend un selfie avec son téléphone, y ajoute un cœur rose et l’envoie dans le monde entier. Le soir, lors du débriefing, Beat nous explique que l’organisation présente un potentiel d’amélioration, ce qui nous sert de préparation au jour suivant: la prochaine division sagittale avec déplacement du bord mentonnier. Cette intervention se déroule déjà de manière plus claire et ordonnée. Osh I laisse volontiers son fils intervenir. A l’avenir, il se limitera principalement à son domaine, les opérations primaires, c’est-à-dire l’occlusion des lèvres et du palais. Il laisse sa place en face de Beat à Danijar. La patiente, anesthésiée pour le deuxième jour d’opération, porte des supports sur lesquels manquent les crochets standard et les ligatures de Kobayashi. Je dois les poser vers la fin de l’intervention, de manière à pouvoir effectuer la contention du palais avec les bagues en latex. Beat apprend encore quelque chose à cette occasion: à l’avenir, il pourrait lui-même poser ces éléments, au cas où l’orthodontiste aurait manqué cette étape de la préparation. Après le repas de midi, nous nous retrouvons à la clinique dentaire et voyons de nombreux patients atteints de malformations. Ils sont examinés les uns après les autres par l’ORL et par la logopédiste Marianne Campiche, en compagnie de Nurlan qui leur a été adjoint.

Schumagul traduit le diagnostic et les exercices thérapeutiques pour les enfants et leurs mères. Je réalise ensuite mon évaluation orthodontique, mise en parallèle avec l’expérience du chirurgien Beat et sous le regard intéressé de Danijar, d’Asamat et de Nursultan, mais aussi d’Arstanbeck, le chirurgien qui nous présente d’autres de ses patients venus de Jalalabad pour que nous les examinions. Entre-temps, on peut voir Osh I dans le cabinet d’orthodontie, discuter avec Schumagul et Marianne de la position et des tâches de Nurlan et évaluer avec Beat la cause des possibles défaillances des occlusions palatines et fistulaires. Le professeur Osh I nous présente ensuite une fillette de 5 ans, dont l’ouverture de la bouche limitée à quelques millimètres empêche la prise alimentaire correcte. La carie sur les dents de lait antérieures n’est pas encore douloureuse. Mais il est également clair que l’enfant n’a aucune possibilité de glisser une brosse à dents entre ses mâchoires, ni un dentiste de soigner ou d’extraire une des molaires. Beat juge également le besoin d’intervention comme étant urgent. Il estime que l’adhérence osseuse de l’articulation temporo-mandibulaire doit être corrigée par une intervention chirurgicale d’au moins quatre heures.

L’insertion d’un coussin en silicone devrait empêcher une nouvelle adhérence. Par la suite, les parents devront faire pratiquer régulièrement un mouvement d’ouverture de la mâchoire à leur enfant. L’intervention n’est pas possible lors de cette première visite de Beat Hammer en raison du manque de matériel et de disponibilité au bloc opératoire. Beat a déjà promis qu’il reviendrait en mai 2019. Des opérations sont également réalisées le matin du troisième jour. L’appareil d’anesthésie, emprunté au bloc de chirurgie cardiaque car le soufflet automatique de celui utilisé en orthodontie est défectueux, fonctionnait bien jusqu’à ce qu’une panne de courant survienne. Il a alors fallu s’habituer à ce qu’une alarme retentisse en permanence. Lorsque l’anesthésiste en chef passait, il la coupait pour avoir au moins deux minutes de répit. Mais avec la panne de courant généralisée à tout l’hôpital, il fallait actionner l’insufflateur manuellement. Beat gardait son calme, comme tout le monde dans la pièce, et dit laconiquement: «Si nous ne pouvons pas remettre rapidement en marche le moteur chirurgical, nous devrons recoudre, puis rouvrir et terminer l’opération plus tard.» On dispose des câbles au travers du bloc et on change quelques raccordements. Mais avant qu’un groupe électrogène ne commence à pétarader, le courant revient et tout peut continuer comme prévu. Le professeur Beat Hammer prend congé, couvert d’éloges par Osh I.